La pandémie de la Covid-19 a forcé la fermeture temporaire de tous les centres chirurgicaux destinés aux personnes trans. Voici le parcours d’une personne qui a eu recours à une mastectomie chez GrS Montréal lors de la réouverture de l’hôpital.
Collaboration spéciale: Alex Simon est un.e étudiant.e Montréalais.e d’origine américaine de 22 ans qui s’intéresse aux réalités des personnes trans et LGBTQ. Ellui-même non binaire, iel a proposé à GrS Montréal de composer quelques articles pour le blogue TransAvenue.
Mon cheminement de mastectomie a commencé comme celui de bien d’autres personnes trans-masculines et non binaires avant moi. Un des aspects les plus exaltants du processus était pourtant un des plus simples : envoyer ma demande pour recevoir les formulaires à mon adresse courriel. À l’époque, il y avait peu de personnes à qui j’avais fait mention de ma mastectomie à venir, donc il y avait une nuance de secret et de subtilité à prendre en compte. Il fallait que je jongle à savoir comment partager cette information grandiose à ma famille et à mon entourage. Subir une chirurgie n’est pas quelque chose de négligeable. Cependant, je savais en cliquant sur “envoyer” que j’allais dans la bonne direction.
Les mois qui ont suivi cette confirmation courriel, j’ai suivi les étapes typiques bureaucratiques pour obtenir la lettre de référence et l’approbation médicale pour avoir recours à ma chirurgie. Les formulaires ont été signés par mon médecin de famille et j’ai suivi les séances requises en psychothérapie pour ma lettre de référence. Ces deux processus ont été coûteux, mais je me suis dit que dans l’ensemble, au moins ma mastectomie allait être couverte par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Je savais au fin fond de moi-même que cette opération était une nécessité, mais avec tout le questionnement de la part des représentants du milieu de la santé j’ai dû réévaluer la relation que j’avais avec mon corps et mon identité de genre. Puisque les critères principaux d’éligibilité pour la mastectomie tournent autour d’un éloignement de la féminité et un rapprochement de la masculinité, j’ai réalisé (dans la première de plusieurs instances à suivre) comment les individus non binaires peuvent affronter des défis en voulant accéder à des soins de santé. Lors de mon dernier rendez-vous, ma psychologue a dû sortir sa copie du DSM-V afin de vérifier que je répondais suffisamment aux critères pour avoir ladite lettre, et je l’ai eue de justesse. C’était extrêmement angoissant. Le sort de ma procédure d’affirmation de genre résidait dans les pages d’un manuel en pathologie et son interprétation.
Une fois la lettre obtenue et les formulaires envoyés à la fin de l’été, la création de mon dossier à la clinique a pris environ deux mois. On m’a ensuite donné la date de mon rendez-vous de consultation préopératoire au début de 2020. J’ai passé les semaines suivantes à imaginer les conversations avec mon chirurgien et à lire le plus possible sur le sujet pour m’informer adéquatement. Quand je n’étudiais pas pour mes examens finaux, je lisais des articles et j’écoutais des vidéos autant de nature médicale que provenant de Youtubeur.euses. J’ai pris le temps également d’informer mes proches un.e à un.e au niveau de la procédure à venir. Quoique la majorité acceptait bien le concept, elle nécessitait également davantage d’information afin de s’éduquer. Pour plusieurs d’entre elleux, j’étais la première personne de leur entourage à avoir recours à une chirurgie d’affirmation de genre.
En janvier, j’ai eu ma consultation à la clinique. Malgré la nature assez courte et directe de la rencontre, j’étais soulagé.e d’être une étape plus loin dans le processus vers mon rêve d’un torse plat. La prochaine étape était d’avoir l’approbation financière du gouvernement. Malgré que j’avais peu de raison de craindre quoi que ce soit, j’étais inquiet.ète qu’avec ma chance, on me refuserait et que je devrais payer le tout de mes propres poches. Heureusement ce ne fut pas le cas : j’ai reçu l’approbation en février et au mois de mars j’ai eu ma date de chirurgie pour juillet. J’ai dansé à l’extérieur de mon lieu de travail et j’ai pleuré des larmes de joie.
Et la COVID-19 survint. J’ai été en mesure de rencontrer mon chirurgien le jour avant la fermeture de la clinique. Les semaines suivantes étaient remplies d’incertitudes. Je voyais de nombreux.euses ami.es dont les dates de chirurgies respectives avaient été annulées et déplacées à une date ultérieure inconnue. Chaque semaine, je patientais pour le communiqué de presse divulguant pendant combien de temps supplémentaire la clinique serait fermée et quand les chirurgies devraient reprendre. Enfin au mois de juin, la clinique rouvrait ses portes et commençait graduellement à reprendre les mastectomies.
Je me considère chanceux.euse. Ma date n’était pas décalée comme chez bien d’autres. Ceci m’a donné la stabilité dont j’avais tant besoin pour me mettre dans un état mental préopératoire adéquat. La lecture et l’écoute excessive de vidéos a été utile au moment d’acheter des nécessités comme des bandages, chemises à boutons ou des chaussures faciles à mettre.
Les jours et les heures avant ma chirurgie, mon enthousiasme a dépassé mon sentiment de nervosité. Plus d’un an à naviguer le système et plus de trois ans à vouloir cette chirurgie se sont écoulés. Bientôt la poitrine que je connaissais depuis plus d’une décennie sera remplacée par deux lignes en-dessous de mes pectoraux.
Le matin de la chirurgie, je me suis réveillé.e à 4 h 30 pour être admis.e à 6 h. Mon bonheur m’a rendu moins soucieux.se de ce qui était à venir. Malgré des mesures d’hygiène strictes, je n’avais pas droit de recevoir de visite. J’étais étonnamment calme, et ce, malgré ma nature anxieuse. J’ai donné un dernier câlin à ma mère à la porte et je suis entré.e dans la clinique avec la tête haute.
Le matin s’est déroulé tellement rapidement. J’ai passé du bureau de la réception, à l’unité de soins puis à l’admission en un clin d’œil. Bientôt je me suis retrouvé.e prêt.e à m’étendre sur la table d’opération. Mon dernier souvenir avant de m’endormir était que je souriais en paix.
Je me suis réveillé.e, ou plutôt devrais-je dire j’ai réussi à peine à m’ouvrir les yeux. Le temps semblait avoir ralenti pendant que je m’ajustais à ce qui se passait. On m’a transféré.e dans ma chambre et déplacé.e dans mon lit. Quand les infirmières sont parties, j’ai souris en extase. J’étais submergé.e par tant d’émotions simultanément. Ma poitrine était emballée comme un cadeau de Noël par des bandages, mais je savais qu’en dessous de tout ça j’avais le torse plat. Dès que j’ai pu penser clairement et garder mes yeux ouverts, j’ai texté ma mère et mes ami.es avec ma toute première photo postop : un sourire de joie incomparable. Peu après, une deuxième personne fut placée dans ma chambre, et malgré la présence d’un rideau qui nous séparait, on a pu parler de notre sentiment partagé de soulagement et de satisfaction.
Tranquillement j’ai pu remettre mes vêtements et sortir en douceur de l’unité de soins. Deux jours plus tard, mes drains Penrose ont (enfin) pu être enlevés, suivi par le retrait des bandages trois jours après. C’était la première fois que je pouvais voir ma poitrine postop. Je n’ai même pas attendu ma mère pour enlever le gaze, j’étais trop enthousiaste pour attendre plus longtemps. Ma mâchoire faisait mal tellement je souriais. Il fallait que je tapote légèrement mon torse pour me rappeler que l’image dans le miroir était bel et bien la mienne! J’ai réussi. J’ai eu ma mastectomie à double incision sans greffe aréolaire. Après autant de difficiles épreuves contre lesquelles la seule idée d’avoir ma chirurgie m’a gardé.e debout, j’étais enfin rendu.e à la ligne d’arrivée. J’ai survécu à mes mauvaises journées et j’ai maintenant la chance de rayonner de manière authentique.
Alex Simon
Cet article est exactement de quoi j’avais besoin!!
Je suis une personne non-binaire et je suis en ce moment en attente que mon dossier soit évalué pour une mastectomie.
Lire cet article m’a enlevé comme un gros poids des épaules. C’est la première fois que je vois des informations sur le parcours d’une personne non-binaire à la GRS, à cause de cette précédente absence d’informations et en rajoutant la pandémie actuelle sur le tas (et en comptant ma nature anxieuse,) ça fesait beaucoup d’inquiétudes et d’incertitudes, même avec tous les efforts de la GRS pour nous garder informé.es.
Simplement voir que vous y êtes arrivé.e me rassure énormément! Merci beaucoup d’avoir partagé votre expérience!